Evie Poirault / C’est une première victoire pour le projet de loi de légalisation de l’avortement en Argentine. Approuvé en première instance, par les députés, vendredi 11 décembre, à la faveur d’une plus large majorité. Un droit, qui pourrait bien s’ajouter aux acquis progressistes du reboot péroniste.
Dans la nuit du 29 décembre, les foulards verts (pro IVG), agités par un bataillon de poignets, ont fouetté l’air de Bueno Aires, et battu le rythme d’une joie inextinguible. Le Congrès argentin a officialisé la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à la quatorzième semaine. Après douze heures de débat, 38 sénateurs se sont prononcés favorables à ce projet de loi, contre 29 opposants et une abstention. Jusqu’alors, l’IVG durement criminalisée, n’était rendue possible que dans les cas de viol ou de mise en danger pour la mère. Le projet avait remporté la faveur de la chambre basse, le 11 décembre dernier. Un vote lors duquel la majorité avait déjà élargi ses rangs.
Une exultation unanime s’est détachée des poitrines de cette lutte au visage féminin, qui desserre enfin les poings, pour s’enlacer. Ouvre les vannes des larmes qui perlent, jusqu’à disparaître chastement sous les masques. Purgées de l’épuisement d’un combat de longue haleine. Cet instant capiteux a fait s’évanouir la mémoire des espoirs ravis, après que la proposition ait été révoquée par le Sénat en 2018.
Contactée sur place, Paz Romero, cette jeune femme argentine aux boucles noires inflexibles, comme son militantisme forcené : considère que c’est à la mobilisation soutenue des activistes, que le pays doit ce qu’elle considère être une victoire. Corps et âme attachée à cette souveraine liberté, chevillée à la certitude : « qu’aucune femme ou homme trans ne doit accoucher s’il ne le souhaite pas (1) ».
Combat transgénérationnel
C’est une énième confrontation que mènent ces activistes, maintes fois vaincues, par le désaveu des sénateurs. Acharnées, elles ont fourbi leurs armes discursives et leur cortège est amalgamé de « visages hétéroclites : cesont des vieilles dames qui ont dû sebattre dans les moments sombres ; des jeunes filles ; deslesbiennes et des trans… (2) ».Des manifestations qui mettent au jour une résistance filiale, enracinée silencieusement, depuis des décennies. Par celles qui ont mené le travail de sape du statu quo. « Aux “ sorcières ” desvillages qui ont accompagné desavortements. À nos grands-mères quiont pris soin de nos mères quand ellesont dû se faire avorter. À nos mères,qui nous soutiennent et nous attendentau retour des mobilisations (3) ».Un faisceau de soutien qui aimerait que ce droit vienne densifier le legs des précédents acquis sociaux.
Mesures historiques
Précédé par une saccade de lois progressistes, depuis l’arrivée au pouvoir du candidat Fernandez. Entouré de figures qui, pour l’heure, satisfont les féministes. Semblant travailler à rejoindre les timoniers progressistes, « il a donné l’exemple (4)» aux lendemains de son investiture. « En appliquant la loi Micaela, qui oblige les sphères administratives à suivre une formation sur le genre. (4) »
Plus récemment, c’est une mesure audacieuse qui est intervenue en faveur de la communauté Trans, pour instaurer « un quota de main-d’œuvre pour le contingent des employés del’État (5) »au plancher minimum de 1% des effectifs. « Un combat plébiscité depuis de nombreuses années. (6) »
Il y a deux ans, le pays était déjà secoué par une révolte systémique contre le machisme, qui aura valu au terme de “Féminicide”, d’avoir son index dans le Code Pénal.
À l’égard de la politique menée, Paz se dit « heureuse (happy) » du tournant que prennent les politiques publiques. Elle félicite « le budget alloué aux questions de genre (7) », et souligne l’instauration d’un « ministère de la Femme et de la Diversité, avec des femmes: lesbiennes et Trans, qui influence directement l’élaboration des politiques publiques (8) ».
« L’Argentine a toujours revendiqué les droits de l’Homme (10) »
Incarné par le président Alberto Fernández, le retour du parti Justicialiste, escompte consacrer la reconstruction d’une Argentine “ égalitaire et solidaire ” tel qu’il l’a souhaité. Selon l’activiste Paz Romero, ce reboot péroniste se veut le symptôme de la croyance recouvrée que « la politique peut être un outil de justice sociale, et cela va de paire avec le renforcement du mouvement féministe dans le pays (9) ».
Promesse de campagne, cette nouvelle proposition de loi, se veut être un gage supplémentaire de la restauration des soubassements fondateurs du mouvement présidentiel, cristallisés dans ces mots : “ L’éducation minimale et le travail. L’accès aux droits et aux soins ”. Des engagements pris au nom “ du peuple ”, aussi composite soit-il. Une ritournelle des harangues Justicialistes, qui permet à la politique gouvernementale de s’extraire des apories que produirait la prise en considération des identités partisanes. C’est ainsi au nom de la société argentine qu’un impôt sur la fortune a été entériné, début décembre. Aux fins de lutter contre la pauvreté galopante.
Un tropisme justicialiste, prétendument intrinsèque à l’histoire du pays, selon l’activiste Paz Romero : « L’Argentine a toujours revendiqué les droits de l’Homme et réparé l’État après des années de dictature que d’autres pays du continent n’ont pas connues. En ce sens, on peut comprendre que cela fait déjà partie de l’idiosyncrasie du pays. (10) »
Aucun pilier inamovible
Sous un vent progressiste, les soubassements structurels du pays semblent encore résister, mais se voient ébranlés. Sexisme, patriarcat et obédience catholique, en tête. Mis à l’épreuve, par une lutte à fronts multiples que mènent les partisans du droit à l’avortement. Arborant, « des mouchoirs verts attachés avec des mouchoirs oranges (11) », ces derniers étant le symbole de la lutte « pour la séparation de l’Église et de l’État (11) ». Et pour cause, la Constitution nationale, dispose son soutien au Catholicisme, dans son article 2.
Grandes ambitions, faibles moyens
Derrière l’allégresse qui emporte les féministes, se tapit une amère lucidité. Après quatre années de libéralisme macriste qui ont laissé le pays exsangue, et l’ont plongé dans une énième crise économique d’ampleur. Les disparités entre les provinces se sont accrues. Selon Carlos Gabetta, journaliste et essayiste argentin, le recours à l’IVG tel qu’il est encadré par la loi, engendre des centaines de morts chaque année. Et pour causes, les pratiques clandestines sont nombreuses, faute de prise en charge efficiente par les hôpitaux.
Et pour cause : « Macri a laissé un pays dévasté. L’accès aux médicaments est de plus en plus limité aux personnes qui en ont les moyens. (12) » Le recourt à l’avortement médicamenteux atteint, en effet, un prix exorbitant. Ce pourquoi les brigades territoriales du collectif féministe Fuegas, de Buenos Aires, pallient ainsi les carences publiques de prise en charge et d’information, dans les centres de soins des quartiers déshérités. Une réalité de terrain, faite de disparités, qui suggère à Paz la prudence et la pugnacité : « Nous savons qu’une loi n’est pas un droit, tant qu’elle n’a pas vraiment atteint tous les coins du pays (13)
Citations originales
1• No woman or trans man has to give birth if they don’t want to.
2• Is very heterogeneous, they’re old ladies who had to fight in dark times, they’re girls, lesbians and trans…
3• We owe it to the witches of the villages who accompanied abortions. to our grandmothers who took care of our mothers when they had to have an abortion, to our mothers who support us when we return from the march.
4• Set the example, by enforcing the Micaela Law, which obliges administrative spheres to take a gender training course.
5• The Trans Labor Quota Law for state employees.
6• A fight that they have been leading for many years
7• The budget he’s allocating to gender policies.
8• A Ministry of Women and Diversities with women, lesbians and trans people directly influencing the creation of public policies.
9• Politics can be a tool for social justice, and that goes hand in hand with the strengthening of the feminist movement in the country.
10• Argentina had a history of claiming human rights and repairing the state after the years of dictatorship that other countries on the continent didn’t have. In this sense, we can understand that the fight for human rights is already part of the country’s idiosyncrasy.
11• Green handkerchiefs tied with orange handkerchiefs (Fight for the Separation of the Church from the State).
12• Macri government left a devastated country. Access to medication is increasingly restricted to people who can afford it.
13• We know that a law is not a right until it really reaches every corner of the country.