
Mathieu Lagarde | Le Nigeria est aujourd’hui devenu la première puissance économique africaine. L’Etat prend son indépendance le 1er Octobre 1960, en plein contexte de Guerre Froide, qui oppose alors les deux superpuissances mondiales sorties vainqueures de la Seconde Guerre Mondiale, à savoir les Etats–Unis d’Amériques (USA), et l’Union des Républiques Soviétiques Socialistes (URSS). Comme beaucoup d’autres pays d’Afrique et d’Asie, le Nigeria obtient son indépendance durant une période qui s’étend depuis les années cinquante jusqu’en 1965, et que l’on appelle la période de décolonisation. Les pays nouvellement indépendants vont refuser de prendre parti dans le conflit politique et idéologique qui oppose les deux superpuissances, et vont plutôt prôner le non-alignement lors des conférences diplomatiques et internationales auxquelles ils se rassemblent. Le Nigeria participe à la conférence de Bandung en 1961 et à la conférence de La Havane en 1966. L’année suivante, la nouvelle compagnie pétrolière Elf annonce que d’importants gisements de pétrole ont été découverts au large des côtes nigérianes ainsi que dans la région du Biafra. Or depuis 1964 il y a des tensions sociales au Nigéria. Elles sont fondées sur des rivalités ethniques avec la communauté Ibo, qui est originaire de la région du Biafra. Ces tensions incitent des officiers Ibos à réaliser un coup d’Etat, mais le régime est renversé en juillet et les Ibo deviennent la cible de massacres. Le 26 mai 1967 le Biafra déclare son indépendance ce qui marque le début d’une guerre civile qui prend fin en 1970 avec la réunification des territoires du Nigéria. Il faut souligner que les massacres de populations, la famine causée par le blocus de l’Etat nigérian et la propagande biafraise des images de la guerre mobilisent la première aide humanitaire de grande envergure. Aussi nous nous demanderons quels sont les éléments pour comprendre le conflit armé au Biafra et quelles sont les traces laissées par celui-ci dans la société nigériane ? Il s’agira dans un premier temps d’étudier les enjeux politiques et financiers de la souveraineté de la région. Ensuite nous nous intéresserons à l’enjeu de la propagande biafraise dans l’engagement humanitaire. Enfin nous constaterons les conséquences de la guerre civile sur la société nigériane.
La guerre civile au Nigeria est avant tout un conflit ethnique puisqu’il s’agissait pour les Ibos de se défendre des violences dont ils étaient les victimes depuis le premier coup d’Etat réalisé en janvier 1966 par un chef militaire Ibo. Les massacres dont les Ibos étaient les victimes ont engendré 30 000 morts et provoqué la migration de 2 millions de personnes vers la région du Biafra. Les militaires Ibos voulaient prendre leur revanche sur les massacres de populations et sur le coup d’Etat qui a provoqué la chute du régime dirigé par un militaire Ibo. Dans un article scientifique publié en 2006 : Les liaisons dangereuses du témoignage humanitaire et des propagandes politiques, Rony Brauman indique que « Le gouverneur militaire, le colonel Ojukwu, futur chef de la sécession, annonça que [l’argent récolté par l’exploitation pétrolière au Biafra] resterait au Biafra, à titre de compensation pour les rapatriés » (p. 190). En ce sens, le conflit de souveraineté est devenu un enjeu financier pour l’Etat nigérian puisque ses principales recettes provenaient de l’exploitation des gisements de pétrole. Or en 1966, année où le Biafra déclarait son indépendance, la compagnie pétrolière française Elf annonçait qu’un important gisement de pétrole se trouvait dans la région du Biafra. Perdre le Biafra représentait donc un double risque ; aussi bien économique que politique. En effet, l’indépendance du Biafra pouvait transformer les rapports de puissance et amoindrir le poids politique du Nigéria dans les relations économiques, diplomatiques et commerciales qu’il entretenait avec d’autres puissances sur la scène internationale.
Le conflit au Biafra a mobilisé de nombreux acteurs internationaux, depuis les professionnels de santé qui se sont engagés dans des missions humanitaires jusqu’aux chefs d’Etats qui ont soutenu l’un ou l’autre des deux camps. Le gouvernement britannique soutenait par exemple le gouvernement fédéral nigérian tandis que le gouvernement français soutenait les dissidents biafrais sans pour autant reconnaître l’indépendance du Biafra. Dans une émission enregistrée par France Inter le mercredi 20 Septembre 2020, intitulée Affaire sensible, 1968 Biafra : quand la faim est devenue une arme, Joël Calmette nous raconte comment la propagande médiatique du gouvernement dissident du Biafra a servi à influencer l’opinion publique française afin de mobiliser les associations d’aide humanitaire et le gouvernement de Charles de Gaulle. Marqués par les horreurs de la guerre et par l’incapacité de subvenir aux besoins de la population, les acteurs humanitaires engagés au Nigéria ont été poussés à témoigner. A cela il est important d’ajouter que les dirigeants du mouvement de sédition s’étaient attirés les bonnes grâces de l’agence de presse Markpress. En effet, celle-ci avait créé une division spécialement chargée de couvrir les évènements au Biafra : « Markpress Biafra Overseas Press Division ». Très vite, les avions humanitaires ont embarqué avec eux des journalistes. On découvre alors à la télévision française des images d’enfants agonisants, malades à cause de la malnutrition. La communauté internationale est encore choquée par les crimes nazis, et l’on qualifie de « génocide » le massacre de populations au Biafra. Pourtant, « il n’y avait pas de projet d’extermination » comme le précisent Joël Calmette et Fabrice Drouelle lors de l’émission.
Le conflit au Biafra est un sujet paradoxal, important mais tabou, qui continue d’intéresser les historiens et les spécialistes du Nigéria. En effet, le conflit au Biafra permet de comprendre la situation actuelle de ses habitants : le chômage de masse, la corruption et les manifestations. Le 1er Septembre 2017, BFMTV diffuse un reportage réalisé par Rosie Collyer et Moïse Gomis dans lequel ils indiquent par exemple que les manifestations au Biafra ont provoqué la mort de 150 manifestants. Mais il s’agit aussi d’un sujet tabou car il rappelle une époque qui dérange la société nigériane, une époque où le Nigeria était le spectacle terrible de la famine et des massacres. Malgré cela, ce passé “national” reste très présent dans les mémoires des habitants et des anciens guerriers engagés aux côtés des militaires dissidents Ibos.
Les éléments qui nous permettent de comprendre ce conflit sont d’ordres sociaux, historiques et politiques. Non seulement la souveraineté du Biafra est un enjeu de politique internationale mais en plus le contrôle de la région est essentiel pour le développement économique du Nigéria. Si la paix est restaurée en 1970, les horreurs de la guerre continuent d’habiter les mémoires collectives : la crise humanitaire a été très médiatisée, a engagé une mobilisation massive des associations d’aides humanitaires européennes et a impliqué la participation indirecte de gouvernements européens et africains. C’est à la suite de cette crise que Bernard Kouchner fondra l’association Médecins sans Frontières.
Source de l’image de couverture : Le général Yakubu Goon ®, chef de l’Etat nigérian, acceuille le Secrétaire général des Nations Unies U Thant (L) qui s’est rendu à Lagos pour discuter de la crise des réfugiés du Biafra, le 19 janvier 1970 à l’aéroport d’Ikeja. Crédit : AFP – AFP, en ligne : [https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/histoire-de-la-faim-24-la-crise-du-biafra-ou-les-nouveaux-sens-de-lhumanitaire]
bonjour
Merci pour cet article sur cet évènement assez lointain.
il montre assez que la guerre ne vient pas de rien, ne surgit pas du jour au lendemain.
Personnellement, né juste après cette guerre, en 1971, en france, sans lien avec ce pays, j’ai entendu parler très jeune de cette famine : c’était dans les médias.
Concernant ton article, je reste déçu par le peu de place que tu donnes à l’action de la france.
Il semble pourtant que la france ait été un soutien militaire et de propagande officieux aux sécessionnistes pendant qu’elle était un soutien politique officiel du gouvernement en place. La france jouait double jeu pour affaiblir le nigéria, voire pour avoir sa part du pétrole à un prix d’ami, à un prix de libérateur. Prix à payer par les sécessionnistes qui ont du y croire : plus d’un million de morts, principalement par la famine due au blocus
voir par exemple des articles plus ou moins engagés sur cet avis
– https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-l-institut-pierre-renouvin1-2008-1-page-15.htm
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Biafra
– https://www.matierevolution.fr/spip.php?article6139
J’avais même lu il y a déjà plusieurs années, que la france avait laissé tomber le biafra car ces sécessionnistes ne voulaient pas nous vendre leur pétrole à nos conditions.
Bien triste comportement politique français en afrique : venir, manipuler, détruire.