Adrien Goulletquer, le 28/03/12
Le mythe d’Echo (revisité)
d’après Ovide
Voici venir deux maudits des dieux.
Il s’appelait Narcisse, séducteur de nymphes et condamné, sur la prière de l’une d’entre elles, à brûler d’un impossible amour.
Elle se nommait Echo et fut punie par Junon qui lui restreignit l’usage de la langue. Ainsi, elle ne pouvait que répéter les dernières paroles qu’elle entendait.
Narcisse marchait à travers bois, chassant le gibier. Il s’égayait en de jolies chansons d’enfants lorsque son chemin croisa celui d’Echo. Dès l’instant où, encore invisible de lui, elle l’aperçût à travers la végétation, son regard, hypnotisé, ne quitta plus le beau jeune homme. Elle n’oublia cependant pas de jouer le rôle que sa nature lui dictait et offrit à Narcisse la première occasion d’entendre sa voix portée par un autre corps.
Il appela autour de lui, à la recherche de ce qui émerveillait ses oreilles. Echo fit les réponses que sa nature lui permettait.
« D’où nait cette musique enchanteresse qui me parvient ? »
« …viens »
Et Narcisse la découvrant :
« Es-tu la source de ces sons inouïs ? »
« …oui »
« Magnifique ! Parle. Parle donc. », s’exclama-t-il, vibrant d’émotion.
« …parle donc », furent les paroles de la nymphe.
« Si tu promets de me répondre, je parlerai. »
« …je parlerai »
« Dis-moi : est-ce ma voix que j’entends ou la tienne ? »
« …la tienne »
Le regard du garçon s’était illuminé d’une étincelle avide :
« Ce trésor que tu portes et que j’aime… »
Le visage de la nymphe s’épanouit dans un sourire rêveur.
« …j’aime »
« Ce trésor est trop précieux pour se perdre. Ne pars jamais. »
« …jamais »
Les deux restèrent immobiles, transis d’amour. Narcisse ne cessait de parler car ne plus parler c’était ne plus s’entendre.
Passée la joie première qu’elle trouvait dans la seule contemplation de son visage, Echo comprit de quoi se nourrissait réellement la flamme qui dansait dans les yeux de son ami. Il buvait ses propres mots, s’enivrait de la voix sortie de sa propre bouche et portée à ses oreilles par la nymphe.
Elle offrait résonnance à des sentiments qui ne lui étaient pas destinés. D’elle émanaient deux amours : celui qu’elle vouait à Narcisse et celui que Narcisse se vouait à lui-même. Impuissante, elle servait une passion dont elle se voulait la reine et n’était que l’esclave méprisée.
Malgré le désespoir de n’être qu’un instrument de cette mélodie amoureuse, elle ne pouvait se détacher du jeune homme. Chacun était gardé captif par deux geôliers intraitables : les oreilles pour lui ; les yeux pour elle. Et quand elle trouvait parfois la force de fuir le martyr de cette malédiction, si elle esquissait un geste pour s’éloigner, Narcisse s’écriait :
« Ne me quitte pas mon amour ! »
Et dans un déchirement, elle répondait :
« …mon amour ! », aussi sincère qu’épouvantée car chaque mot prononcé abandonnait au garçon le titre qu’elle revendiquait.
Ils ne pouvaient se fuir ni se trouver et, côte à côte, ils dépérissaient au seuil de leur bonheur. Malheureuse messagère ! Tes mots avaient trompé autrefois une déesse, ils trompaient désormais les espoirs de deux cœurs condamnés.
Un soir, refusant d’assister d’avantage à l’éternelle dissonance de leur amour qu’elle se voyait contrainte de jouer, elle mena Narcisse aux bords de gorges escarpées et, espérant rejoindre des enfers plus doux, se jeta dans le précipice, persuadée qu’il la suivrait. Assistant horrifié à la scène, Narcisse sentit un hurlement effroyable lui percer la poitrine :
« Amour ! »
La réponse d’Echo, qui disparaissait déjà dans les profondeurs, lui arriva corrompue par la distance :
« …à mort ! »
Sans plus attendre et comme pour répondre à l’appel, il se laissa glisser dans la gueule béante de la crevasse. Ils sombrèrent et s’effacèrent dans un cri unique dont les parois nues du ravin désolé se firent, depuis lors, les témoins perpétuels.
Les deux amours qui n’avaient pu s’accorder résonnent en cœur dans l’éternité. Deux cœurs pour une même corde. Deux cordes pour un même cœur.
« je m’aime… » « …je t’aime »