Marie-Lou Monnot | Quand je vous dis dessins animés, à quoi pensez-vous ? Pixar, Walt Disney ? Ces grands studios aux énormes succès nous replongent toujours en enfance, et ont en eux une magie bien particulière qu’on aime tant. Mais quand on s’éloigne un peu de ces chemins battus, on découvre alors au détour d’une clairière des animés d’un graphisme plus personnel et d’une poésie propre à chacun des réalisateurs. On pense notamment aux œuvres de Jean-François Laguionie, et son magnifique Le tableau, où la question de l’acception de l’autre et la recherche de soi se pose dans un voyage poétique sublime. Ou encore à Karel Zeman, dont l’esthétique est si particulière. Mais celui qui nous intéresse tout particulièrement ici se nomme Sylvain Chomet. Ses films, qu’on compte sur les doigts d’une main, ont tous un univers et une tendresse dont on se souvient longtemps après.
Un dessinateur avant tout
Sylvain Chomet est avant tout un bédéiste et un illustrateur à l’esthétique bien particulière. Ses personnages sont immédiatement reconnaissables : leurs traits marqués, très longilignes ou au contraire très bouboules, leur donnent immédiatement du caractère. Son travail sur les couleurs, comme une aquarelle passée, donne à chacun de ses plans l’impression d’un tableau. La lumière vient ensuite lui donner vie. Ce travail d’éclairage est particulièrement visible dans L’illusionniste, où les lumières froides de l’électricité moderne viennent se confronter à la lumière chaleureuse des bougies. Il en est de même quand un rayon de soleil passe à travers une fenêtre, laissant entrevoir les grains de poussière tourbillonnant dans la pièce.
L’art de raconter des histoires
Mais au-delà de l’esthétique pure, qui peut parfois être difficile à appréhender, Sylvain Chomet c’est aussi l’art de raconter des histoires. Dans Les triplettes de Belleville, il nous raconte une rencontre improbable entre une petite dame et trois grandes musiciennes quelque peu étranges, sous fond de conspiration autour des cyclistes du Tour de France. Dans l’illusionniste, œuvre tirée d’un scénario de Jacques Tati, un vieux magicien est confronté au monde moderne où le rock et l’électricité prennent de plus en plus de place. Dans ces deux films, le décalage entre deux façons de voir le monde est toujours au cœur du récit, créant à la fois du comique autant qu’un sentiment de tendresse envers les personnages. Sans jamais tomber dans le « c’était mieux avant », Chomet questionne simplement et place dans une douce confrontation des individualités hors normes. Alors, on rit autant qu’on est ému. Le tout est toujours porté par une musique qui aide à dérouler le fil de l’histoire. Car chez ce réalisateur, pas de paroles ou presque. Les personnages contemplent le monde et leurs existences sans les commenter, et suivent ainsi le cours de leurs propres vies. Les bribes de phrases sont alors au même niveau que la musique, elles sont la bande son d’une vie, comme si le film n’était qu’un souvenir raconté duquel on ne se souviendrait que d’esquisses de conversations.
Sylvain Chomet, à l’instar du personnage de L’Illusionniste, n’est peut-être pas un vrai magicien, mais une certaine magie se cache malgré tout dans ses films : celle de la vie qui passe et laisse parfois de côté les acrobates, le hasard d’une rencontre qui finit par disparaître au coin d’une rue… Si les magiciens d’avant s’effacent aujourd’hui, peut-être hélas comme l’art d’animer de vrais dessins à la main, certains persistent, et on espère de tout cœur qu’ils continuent. Alors laissez-vous prendre la main par ces personnages de papier, ils vous emmèneront forcement quelque part…