Albien GAKEGNI | L’énigmatique titre du roman de Zoé Valdés Le néant quotidien nous plonge dans une quête à la fois passionnée par le mystère qu’il regorge, et épuisante à cause du flou derrière lequel se cache bien le sens véritable du terme « néant ». Une notion ambiguë – pour le moins qu’on puisse dire – de par son rapport conflictuel avec ce qu’il signifie littéralement et ce qu’il exprime dans le contexte littéraire.
Et encore plus complexe dans le texte que nous présente cette auteure qui incarne une personnalité assez remarquable. « (…) ce qui fut et n’est plus à présent qu’un néant dégoûtant. Un néant de merde. » Un extrait qui pourtant semble nous renvoyer à la définition universelle du terme « néant » qui veut dire « vide ». Mais de quel vide s’agit-il ? Son pays natal sous emprise de la dictature serait-il transformé en un désert immense ? Quelle catastrophe a eu lieu à Cuba pour rendre ainsi ce beau petit pays ?
Il ne s’agit pas ici d’une Valdés qui accepte de porter le flambeau de l’unité du peuple cubain, mais d’une Valdés qui est représentante de la figure féminine à travers le personnage de Yocandra. La peur ou l’envie de ne plus revivre les mêmes moments de sa vie passée aux côtés de ses amis, de ne plus pouvoir retrouver la première patrie, fait vivre cette jeune femme dans une mélancolie qui devient une porte qui, plus jamais ne se refermera. Cette forme de réalité qui échappe à la captivité de l’homme, et qui ne se livre à lui que par le biais d’une expérience inexplicable, est encore évoquée plus tard dans ce texte : « – Il y a quelqu’un ? Elle frissonne. Oui, bien sûr qu’il y a quelqu’un : vous ! répond le Néant. (…) Ne cherchez plus ! J’existe et je n’existe pas ! » On observe ici un dialogue avec le néant. Une personnification qui nous fait penser à l’existentialisme de Sartre (1). On pourrait penser à une conscience réfléchie ou à un monologue. Car on se retrouve comme dans une scène entre deux mondes à savoir le monde réel et le monde imaginaire.
Mais ce n’est que dans son deuxième roman Le paradis du néant que l’on trouvera une explication plus ou moins claire sur la notion du néant pour Zoé Valdés. Un titre aussi insaisissable que le premier, montre comment la vie n’est qu’une apparence, ou une illusion. Le drame quotidien, expression qu’utilisait sa grand-mère pour qualifier ce qui se passait dans son entourage, a vite servi de source d’inspiration à la jeune écrivaine qui l’intitulera à son tour néant quotidien. Cette notion s’assimile donc au manque, au vide et à l’insatisfaction, lorsque les couleurs de la vie ne présentent plus une beauté qui susciterait une admiration, une joie et une obsession pour le lendemain. On est plutôt ici dans une espèce de chaos. Et tout ce qui constituait l’attente des habitants se voit être rangé simplement dans les oubliettes.
Le départ de La Vermine, la disparition du Lynx, les apparitions et réapparitions tour à tour du Traître et du Nihiliste dans sa vie, la jouissance et aussitôt le remords lorsqu’elle accepte les conditions d’un homme qui la rejette ensuite, lorsqu’elle accepte un travail qu’elle doit exercer dans une dynamique qui ne la convainc pas, le désert humain qui se forme autour d’elle, l’angoisse et les autres choses qui se répètent au quotidien, constituent ce sentiment d’insatisfaction que porte Yocandra, le personne principal de cette œuvre pertinente. Elle souhaiterait se saisir de l’occasion ultime d’échapper au poids et à la douleur de chaque jour : « L’idéal serait un pays idéal, mais nous ne l’avons pas. Nous possédons un pays à la fois pauvre et grand, qui nous épuise et nous plaît, qui nous aime et nous hait. Un pays obsédé par l’idée de tirer la richesse de sa misère. Nous avons toute la complexité de l’être humain, et nous ne l’admettons pas, et celle de l’être cubain, que nous fuyons. » (1)
On peut encore remarquer le sentiment de désenchantement qui s’exprime. Une routine qui accable et face à laquelle la réclamation des promesses faites par la révolution castriste s’impose. Et si la précarité suscite le mécontentement, c’est à cause du fait que « la vie n’est pas une caserne » comme c’est devenu le cas alors que le renversement de l’ancienne dictature était susceptible de transformer le pays en un paradis terrestre. Le néant ressemble au vide qu’on retrouve dans la vie quotidienne. Les amis s’en vont, « les amours s’en vont » (2). La mort prend les êtres chers. On perd et on se perd aussi.
Mais dans ce néant un paradis peut se créer par l’imagination de l’être humain lui-même. Un monde nouveau avec une nouvelle vie, nulle part, quelque part, une vie meilleure dont on rêve depuis toujours.
(1) Sartre ; L’existentialisme est un humanisme
(2) Les guillemets encadrent les propos empruntés.
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