Cette critique a été écrite par Lise Cloix dans le cadre du stage de journalisme critique proposé par le Service d’Action Culturelle de La Sorbonne-Nouvelle. Retrouvez également la critique de Julie Féray et la critique de Jennifer Phardin-Decoin sur le blog de Nouvelles Vagues !
Lise Cloix | Au théâtre du Rond-Point, Frédéric Bélier-Garcia monte la pièce du suédois Lars Noren : une traversée du temps et de l’espace qui décortique le quotidien. Pour comprendre la vie, rien ne vaut les détails.
Il aura suffi de cinq minutes pour que la première de Détails, mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia au théâtre du Rond-Point, déclenche les premiers rires du public. Portée par un casting 5 étoiles, la pièce du dramaturge suédois Lars Norén raconte l’histoire d’Ann (Isabelle Carré), Emma (Ophélia Kolb), Erik (Laurent Capelluto) et Stefan (Antonin Meyer-Esquerré), deux hommes et deux femmes pris dans le tourbillon de la vie. Ces quatre personnages, respectivement médecin, écrivaine, éditeur et auteur vont se croiser aux quatre coins de monde, au cours des dix années que dure la pièce et vont tomber amoureux, se séparer, s’aimer encore, connaître la réussite, l’échec et les erreurs. Dans cette pièce, Lars Norén peint les émotions du typique triangle amoureux, ici revisité en quatuor, dans un décor simple mais bien exploité, qui conjugue l’intemporalité à la temporalité de cette fin du 20ème siècle. Au fond de la scène, des panneaux de bois servent à projeter plusieurs citations littéraires, ainsi que des indications de lieux et de temps. S’ajoute la présence du tableau la Vénus d’Urbin, révélé au cours de la pièce, qui emporte le spectateur dans une dimension artistique sous-jacente mais affirmée. On oscille entre le rire, la stupeur et l’émoi devant une myriade de scènes courtes. Elles dessinent les espoirs, les regrets, la douleur et le bonheur de ces personnages qui se livrent dans le détail de leurs vies. Les détails, ce sont eux qui permettent d’aborder, au-delà des histoires d’amour qui se font et se défont devant nos yeux, des thèmes variés et prenants, douloureux, presque tabous, qui sont évoqués, soufflés dans leur gravité puis ravalés presque comme s’ils n’avaient jamais atteint nos yeux et nos oreilles. Les questions de la maternité, évoquée par Emma, du viol, annoncé par Stéfan, de la séparation, décidée par Erik et de l’infidélité, dont va souffrir Ann, forment comme des percées dans le texte, des éclairs abrupts qui surgissent et s’effacent presque aussitôt, non sans avoir marqué le spectateur. La pièce joue avec les émotions comme des montagnes russes et donne aux scènes une dynamique nouvelle et surprenante. C’est un jeu autant psychologique que physique qui se dessine, notamment lorsque Emma est internée dans un hôpital psychiatrique. Ophélia Kolb joue la folie tant par les mots que par les gestes, formant un mélange percutant, presque dérangeant, mais efficace. Les pensées se fondent aux corps dénudés et exposés des comédiens. La sexualisation de leur chair, auquel aucun acteur n’échappe, est souvent incongrue et aurait sans doute pu être évitée. L’amour se dit pourtant bien par les mots et par les corps. L’auteur propose, au-delà des mots et des gestes, une réflexion plus profonde encore sur le théâtre lui même, et ouvre aux possibilités d’une interprétation à la fois large et guidée. C’est notamment à travers le personnage de Stefan, jeune dramaturge, que la pièce invite à repenser ce métier d’artiste, dans toutes ses dimensions, des désillusions aux réussites. La pièce emprunte également aux codes du théâtre de boulevard, choix audacieux de la part du metteur en scène mais qui s’accapare le texte de l’auteur suédois avec brio. Lars Norén nous fait rire, rougir, réagir, et nous emporte dans le quotidien comme dans le merveilleux, avec ses mots qui deviennent les nôtres et qui résonnent encore dans nos esprits.
Détails, de Lars Norén, mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia, du 8 janvier au 2 février 2020 au théâtre du Rond Point.
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