« Détails » de Lars Noren

Cette critique a été écrite par Jennifer Phardin-Decoin dans le cadre du stage de journalisme critique proposé par le Service d’Action Culturelle de La Sorbonne-Nouvelle. Retrouvez également la critique de Lise Cloix et la critique de Julie Féray sur le blog de Nouvelles Vagues !

Jennifer Phardin-Decoin | Les années 1990, entre Stockholm, New-York, Florence et Tel-Aviv. Dix années de chassé-croisé amoureux entre deux hommes et deux femmes, examiné dans les détails par Frédéric Bélier-Garcia.

Un contexte historique à peine esquissé : conflits en Yougoslavie et dans le Golfe, Sida, crises, évènements lointains évoqués comme pour créer un « sfumato », une ambiance un peu brumeuse pour mieux mettre en valeur des rapports humains qui se délitent. Car c’est de cela qu’il s’agit, ces fameux détails chers à Lars Norén : des tranches de vie censées composer un tout, ou du moins une partie d’un tout. Cette pièce très écrite tient du patchwork, chaque scène étant « cousue » à la précédente et à la suivante par des répliques dupliquées. Elle tient également du puzzle incomplet, charge aux spectateurs de reconstituer les pièces manquantes, ces ellipses de plusieurs mois ou de plusieurs années pendant lesquelles les protagonistes ont continué à se rencontrer, s’aimer, se déchirer, vivre.

Alors pourquoi trouve-t-on le temps long dès la première demi-heure ? Pourquoi espère-t-on que chaque scène, dont la date est scrupuleusement projetée sur le décor, nous rapprochera le plus possible de cette année 1999 présentée dès le début comme le terme de l’action ?

Mise en scène faible, mais portes « battantes » !

L’idée phare de la mise en scène est d’exposer les personnages dans un décor unique, les changements de lieux se voulant dynamiques et n’étant suggérés que par quelques mouvements de banquettes, de tables et de cloisons déplacés à vue par les techniciens. Cependant on est perturbé par l’opposition entre la pesanteur de la pièce et le chassé-croisé des comédiens, notamment à travers une série de portes battantes qui occupent le côté jardin de la scène et qui s’apparentent à des portes qui claquent. Parti pris esthétique ou théâtre de boulevard qui se prendrait au sérieux ?

Reconnaissons que ce décor imposant et standardisé est propre à souligner le manque d’intimité et de chaleur entre ces quatre personnes. Il symbolise des lieux publics ou anonymes : maison d’édition, hôpital, théâtre, musée, café, salle de sport, chambre d’hôtel, lieux de réception. Déjà, dix ans avant l’apparition des réseaux sociaux, les rapports humains ne se jouent plus à huis clos mais s’étalent au vu et au su de tous.

Mais si les comédiens tentent d’occuper l’espace, ils se parlent à une distance démesurée, ce qui donne un aspect artificiel à leurs échanges et à leur connivence. Quant à leurs personnages, ils semblent s’enfoncer dans des stéréotypes : les hommes lâches et infidèles, les femmes frustrées et hystériques. Il est vrai que dans les années 90, « les hommes viennent de Mars et les femmes de Venus » !

Confère la « Vénus d’Urbin » projetée sur le décor qui semble être là pour donner une caution intellectuelle à la pièce. De même en est-il des citations d’auteurs célèbres comme Kundera qui tapissent régulièrement le décor en même temps que les comédiens se parlent. Il faut alors jongler entre ce qui se dit et ce qui est écrit.

Les dialogues abusent d’effets trop souvent distillés : débat sur ce qu’il faut voir ou visiter, discussions décousues qui se veulent par la même comiques, introduction à brûle-pourpoint d’éléments dramatiques au milieu de propos oiseux, comme le viol supposé de Stefan par son père, où l’incapacité d’Erik et Ann à procréer, autant de volontés d’interpeller le public.

Le « détail » qui tue !

Tout cela finit par être très superficiel, au même titre qu’une utilisation certes ponctuelle, mais injustifiée de la nudité, aussi bien masculine que féminine, qui s’apparente au marteau « brise-glace », à n’utiliser qu’en cas d’urgence pour réchauffer le public et inscrire la pièce dans la modernité, ultime tentative pour la relancer et surprendre le spectateur.

Comment alors en vouloir aux comédiens, tous professionnels reconnus, de ne porter qu’avec une inspiration inégale cette pièce exigeante mais décevante, de n’y croire qu’à moitié, de tourner en rond malgré la présence appréciée d’Isabelle Carré ?

L’histoire et les péripéties nous paraissent attendues. On pressent très vite qu’il ne se passera pas grand’ chose, que ces tranches de vie resteront bien ternes comparées aux évènements internationaux déjà évoqués. C’est sans doute voulu, mais on attend désespérément un sursaut ou tout au moins une situation paroxystique. On aurait apprécié des personnages moins convenus, des interactions plus abouties, une mise en scène moins lisse. A l’instar d’autres spectacles remarquables présentés par le théâtre du Rond-Point, on aurait voulu se délecter des subtilités du texte, en tout cas trouver plus d’originalité et de profondeur dans ces « Détails ».

Théâtre du Rond-Point / Mise en scène Frédéric Bélier-Garcia / Du 8 janvier au 2 février 2020 à 21h.

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