Tout ce que j’aimerais dire – 12 kilos (lettre à une amie)

Krollan | Choisir un sujet, y réfléchir pendant 1 mois puis le publier : c’est la vie que j’ai décidé de mener en 2021.

Janvier – l’annonce : https://nouvellesvagues.blog/2021/01/28/un-texte-par-moi/  

Février – nullipare : https://nouvellesvagues.blog/2021/03/04/un-texte-par-moi-nullipare/

Mars – vivre et laisser vivre : https://nouvellesvagues.blog/2021/04/10/texte-par-moi-vivre-et-laisser-vivre/

Un anniversaire, un rendez-vous printanier annuel. Dans le jardin de notre amie d’enfance, les invitées discutaient par petits groupes autour du buffet. Cette tentation, je la fuyais du regard. Ponctuellement, je dérobais une de ses offrandes, la dégustais chastement ; pas trop, juste quelques-unes. Ta pote, de sa voix calme et moqueuse m’a confié : « T’as beaucoup grossi, t’étais pas comme ça au collège. » Elle avait raison et j’avais l’habitude de ses remarques, elle était déjà comme ça au collège. Les mots qui m’ont blessée « T’as vu tout ce que tu manges ? », étaient les tiens. Oui mon amie, j’ai vu. J’ai vu les chiffres augmenter. J’ai vu l’étroitesse nouvelle de mes vêtements. J’ai vu les déchirures violettes de mes cuisses. Je vois ce corps inconnu qui est le mien.

Tu sais, j’ai peur. J’ai peur de retrouver des gens qui ne m’ont pas vu depuis longtemps. Parfois, ok souvent, je me dis que je dois perdre tant de kilos pour pouvoir revoir telle personne. Car même si elle ne me dit rien, elle pensera que j’étais mieux avant. Elle rentrera chez elle en disant : « Celle-ci à chaque fois que je la vois elle gonfle un peu plus ».

Mon poids adéquat/adapté/approprié/conforme et moi avons 12 kilos d’écart. Parfois je retrouve d’anciennes photos et vidéos, c’est incroyable comme j’étais fine. Et tu sais quoi ? Il y avait déjà à l’intérieur de mon crâne l’inscription « T’es grosse. » et à l’extérieur la petite voix du refré « Baleine ».

« Tu sens la bascule que pour ta mère t’es plus la petite fille, t’es une concurrente »

Nombreux sont les regards maternels complexants. Sur ce point, je suis réellement reconnaissante. Oui, elle m’a parfois reprise sur ma position de « camionneuse », sur mon « laisser-aller » et mes poils « vraiment pas beaux ». Elle donne des conseils, mais n’insiste jamais. L’été dernier, en m’asseyant, j’ai détruit notre table de camping avec sièges intégrés. Toute la famille était là et personne ne s’est permis la moindre réflexion, des bg.

Il faut que je te dise, ce matin, j’ai rejoint des gens supers et on a planté des fleurs. Délicatement épuisée de la chouette journée qui se termine, j’ai checké les photos reçues. Tu penses que j’ai admiré les plantations ou la globalité de la photo de groupe ? Non. Omnibulée par l’apparence que j’ai pu renvoyer : j’ai zoomé, inspecté mon corps, et refermé l’application.

Ça t’es déjà arrivé de manger jusqu’à plus faim ? Lorsque ça ne te fait plus plaisir. Tu as envie de vomir, mais tu gardes tout et ça fait mal. Pourquoi tu ferais ça ? Installe-toi, sers toi un tisane, je te raconte.

Pour atteindre la perfection, les étapes sont nombreuses et je n’ai pas de temps à perdre. Je dois organiser, planifier, produire, rédiger les 8 commentaires pour la théorie de la littérature que j’ai en retard. Pourtant, il y a ces journées où je n’y arrive plus. J’accepte que, tant pis c’est pas aujourd’hui qu’on deviendra quelqu’un de bien, j’ai besoin d’achever la journée. Je me déçois et je ne veux plus penser. Alors, c’est en descendant à l’épicerie que je porte le deuil de mon idéal.

Il y a aussi ces moments où je me sens incroyablement vide, perdue et triste. L’abondance de nourriture me détruit plus qu’elle ne me remplit, je suis insatiable. C’est un autre vide mais je ne sais pas lequel et quand je suis devant le bol de céréales dont je mets le lait avant parce que comme ça je le chaufe et je mets les céréales au fur et à mesure dedans pour qu’elles se ramollisent mais pas trop et je peux choisir le niveau de ramolli. Qu’est-ce que je te disais ? Oui, le vide en moi. Je ne sais pas ce qu’il fait là. Je devrais me poser, écrire, y réfléchir. Posédée par un incontrôlable désir, j’en suis incapable. Je n’ai en tête que la prochaine bouchée, rien d’autre.

Lorsque je vais bien, je me sens légère. Je connais par cœur les principes d’une alimentation saine. Sauf que si je les suis trop longtemps, je finis par craquer. Un besoin de me rappeler que non, la vie c’est pas sucrette. Un besoin de sentir le poids des responsabilités directement dans ma chair et dans ma difficulté à me mouvoir d’avoir tant ingurgité. Tu vois, je me borne dans un schéma : résolutions, craquage, déception. Alors qu’il est évident que la cause est mentale. Mais putain, je le sais que je ne peux pas m’attendre à des résultats différents en répétant encore et encore les mêmes techniques innéficaces. Mon envie de manger n’est pas liée à ma faim, tout comme l’envie de pleurer et les larmes ou l’envie de dormir et le sommeil. Merde on est sur des basiques là. J’en ai marre, je suis fatiguée. Peut être que je devrais changer d’objectif : accepter que mon corps n’est pas un « avant », qu’il n’y aura pas de « après ». aouch. Je ne suis pas sûre d’y arriver.

Ne t’inquiètes pas, je vais mieux, beaucoup mieux. Mes crises se raréfient et ne sont plus synonyme de faiblesse, ni de douloureuse défaite. J’ai appris à les maîtriser. Je ne me sens plus profondément déçue de moi-même. Et surtout, quand la nausée s’installe. Je la traite comme une disgrâce extérieure qui nous est tombée dessus à mon corps et moi. Ensemble, on va la gérer. Ce n’est la faute de personne. 

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