Krollan | Mon objectif avec cette série de réflexions était d’en publier une chaque mois. Raté. Cependant en cette rentrée 2021 : ta série préférée reprend !
Janvier – l’annonce :https://nouvellesvagues.blog/2021/01/28/un-texte-par-moi/
Février – nullipare :https://nouvellesvagues.blog/2021/03/04/un-texte-par-moi-nullipare/
Mars – vivre et laisser vivre : https://nouvellesvagues.blog/2021/04/10/texte-par-moi-vivre-et-laisser-vivre/
Avril – 12 kilos : https://nouvellesvagues.blog/2021/05/02/un-texte-par-moi-12-kilos-lettre-a-une-amie/
« Tu penses que le féminisme perturbe les femmes car elles sont inférieures aux hommes ?
– Tu sais Krollan, je ne crois pas à l’autobiographie : c’est une histoire, de l’imagination. Dans les religions, la complémentarité des genres n’existe pas vraiment donc c’est ambigüe d’être féministe et religieuse. Ce n’est pas moi qui pense ça.
– Mais Albien, en tant qu’auteur tu fais passer un message, conscient ou non. Tu choisis de représenter ces personnages qui critiquent la compatibilité du voile de Sara et de son féminisme, la manière même dont elle le porte. Ces paroles sont faiblement critiquées dans l’œuvre, comme si c’était la vérité.
– Je ne fais que répéter ce que je vois en prenant quelques libertés pour romancer. Je n’ai pas de point de vue à donner. Il appartient à celui qui lit, selon sa compréhension. »
La réalité se compose d’une multitude de voix. Certaines sont dangereusement omniprésentes. Faut-il, dans un souci de réalisme, leur offrir du précieux temps de parole ? Ou réserver ces lignes aux nombreuses réalités sous-côtées ? Un livre ne raconte pas l’ensemble des versions d’une histoire. Selon sa sensibilité, l’auteur.rice capte des évènements tandis que d’autres lui échappent. Puis iel juge leur importance, s’ils méritent ou non d’être racontés. Iel oriente. Perso, je trouve ok que l’auteur.rice assume porter des idées politiques. Le.a lecteur.rice iel-même apporte sa subjectivité au texte. Ce n’est pas une volonté de tout politiser mais plutôt de reconnaître que nos opinions modifient notre perception, la tienne comme la mienne. Nous ne voyons que depuis notre place, nous n’écrivons que depuis notre position. C’est même justement ça qui est intéressant : parler de ce qu’on connaît1. Le danger n’est pas l’impossibilité de la neutralité mais son illusion.
L’auteur de Compromis souhaite créer une diversité mais au fond ses personnages sont tous pareils. Ils se retrouvent tous dans les valeurs de leur créateur : la religion et le syndicalisme sont les sauveurs des étudiant.e.s. Iels acceptent les athé.e.s et les non-syndiqué.e.s, les tolèrent et les aident bien qu’iels soient dans l’erreur. La fac que je connais est celle des grèves et des blocus, celle des AG interminables et bruyantes qui enflamment l’amphi et donnent envie de tout reconstruire. La fac du livre d’Albien Gakegni est celle de la lutte institutionalisée des syndicats. L’auteur souhaite montrer comment s’organise la vie étudiante, sa vie étudiante. Des filtres parmi d’autres, devenant néfastes s’ils sont présentés comme LA réalité.
Un roman pour se poser des questions, c’est ce qu’explique l’auteur. Compromis se compose de nombreuses scènes afin que les lecteur.rices se posent elleux-mêmes des questions. C’est finalement un roman très théâtral2. Les scènes m’ont même profondément dérangée. Alors ça fonctionne ! Albien ne nous décrit pas un modèle, mais un monde à ne pas subir. C’est l’histoire d’Adrien et Sara, de véritables gens de la vraie vie mais dont l’histoire est un peu romancée quand même. Le problème : la fille est musulmane et porte le voile, le garçon est traditionnellement chrétien mais athé. L’ensemble de leurs ami.e.s va, de manière bienveillante mais un peu reloue, se mêler de leur romance et les conseiller. Dans cette ambiance de camaraderie, tou.te.s se sentent libres de confier ce dont iels ne peuvent parler en public : leur peine de cœur et leurs croyances. Pour Albien Gakegni, la religion dans la laïcité est la religion de l’intimité. L’auteur est également chercheur en sciences du langage. Il explique que lorsque l’on recherche le terme sur internet, on trouve « la laïcité » et « la laïcité en France ». « Ça fait deux laïcités, remarque-t-il avec astuce. Il ne faut pas exposer la religion, il faut juste la vivre à la maison et dans son cœur. En France, la laïcité ne s’applique pas pareil qu’ailleurs » et il faut s’y adapter. En tant qu’élu syndical il a ouvert un débat « Lorsqu’une personne reçoit une invitation de la Sorbonne Nouvelle elle est obligée de signer la charte sur l’égalité. Pourquoi les invité.e.s de Paris 3 doivent-iels adhérer à nos régles alors que c’est nous qui demandons leurs services et qu’iels acceptent de se déplacer ? Pourquoi c’est à elleux de s’adapter ? ». L’assemblée n’a pas répondu au jeune chercheur.
« Tu penses qu’il faudrait changer la laïcité en France ?
– Ce n’est pas mon opinion qui conterait. Je préfère rester à ma position d’auteur, de personne qui imagine des choses, et ça s’arrête là tu vois. »
Ça fait des mois qu’Albien m’a proposé d’écrire sur son dernier livre. Je ne peux pas continuer de chantonner à tous les vents que je vais être journaliste et ne pas honorer le peu d’engagements que j’ai actuellement. Les textes par moi mensuels ça te rappelle quelque chose Krollan ? Je crois savoir que le “excusez moi j’ai rien publié depuis 3 mois parce que je bronzais sous les palmiers avec mon gang”, ça ne fonctionne pas dans le milieu professionnel.
https://www.youtube.com/watch?v=eHoA-W3F9hI Discipline, d’Orelsan
C’est un exercice compliqué d’écrire sur un livre qu’on a pas aimé mais dont nous avons contact avec l’auteur. Il m’a répété d’écrire comme si je ne le connaissais pas. Mais si je ne le connaissais pas, je n’aurais pas écrit. Car ce livre m’a mise mal à l’aise, je me suis sentie attaquée. Après un entretien avec Albien j’ai bien compris que ce n’était pas le propos, qu’il souhaitait simplement représenter la réalité.
Albien, merci pour la patience.
Infos complémentaires : 1. C'est ce que fait l'auteur. En effet, il a précédemment signé Dans l'ombre de l'autre ville (2019) et Instants d'exil (2018). 2. D'ailleurs, Albien Gakegni écrit aussi du théâtre dont voici un extrait https://www.youtube.com/watch?v=H2OQjr5TmhA
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